Comment j'ai annulé Noël !

Posted by kraven On mercredi 30 octobre 2024 0 commentaires


Petite histoire de Noël façon Halloween, pour répondre à une commande. Encore une histoire qui n'aurait jamais existée sans cette dernière. Les rencontres changent le monde (lol!)



Comment j'ai annulé Noël :


Melvin était un petit garçon triste et solitaire. Melvin n'aimait pas la proximité affective. Ça le dérangeait ; ça lui faisait mal dans son petit cœur trop sollicité d'enfant. Ça lui rappelait combien on pouvait être blessé dans son amour propre, dans ses sentiments et combien on pouvait être insécurisé et déçu par les autres, surtout par ceux qui nous étaient proches et qui étaient sensés nous protéger. Non, Melvin n'aimait pas plus les adultes - ces adultes qui l'avaient tellement négligé et malmené -, que les autres enfants, parfois tellement cruels à ses yeux. Les autres enfants ne l'aimaient pas plus, d'ailleurs ; trop bizarre, trop ennuyant, trop dérangeant. 

Alors, Melvin s'était construit sa propre petite bulle de sérénité ; sa petite boule à neige personnelle de sécurité. Oui, Melvin échappait à sa morose réalité en façonnant son propre univers. Réalisant ses propres jeux, ses propres jouets, pour lui, rien que pour lui. Avec des bouts de ficelles, des chiffons, des boutons, des morceaux de bois, des engrenages improbables, Melvin se construisait un empire. Un empire de sensations, d 'émotions et de dérision.
C'était le soir du réveillon de Noël et Melvin broyait du noir, car Melvin n'aimait pas Noël. Noël et ses réunions familiales interminables et soûlantes, ses pulls moches, ses cadeaux mercantiles et sa bonne humeur programmée. Ces réunions que, à ses yeux, tout le monde semblait s'imposer. Melvin ne comprenait décidément pas comment on pouvait aimer se réunir et se fader volontairement, presque par apathie, un tel calvaire pour les sens et pour l'intelligence.
La nuit était noire et, sur la grande toile où flottent les étoiles, elle apparue dans toute sa magnificence : une étoile filante. Le moment parfait, idéal pour faire un veux terrible, irrévocable : que Noël soit annulé, qu'il n'y ait pas de réveillon interminable et assommant ; qu'il n'y ait pas de cadeaux insignifiants et stupides et que tous les enfants soient aussi tristes et désabusés que lui.
Et, là, dans toute sa flamboyance, l'étoile grossit et grossit encore, allant jusqu'à oblitérer la nuit. Elle filait comme un feu follet, depuis l’horizon d'Eygurande ; direction l'est de Merlines. Elle s’éteignit enfin, dans un grand bruit sourd, près du vieux lavoir, à quelques pas de la maison de Melvin. Il y a avait là, désormais, un gros cratère chaud et fumant. Pile en son centre se lovait ce qu'il restait du traîneau du père Noël. Le paysage était constellé de colis éventrés et souillés par la boue et la neige. Un merveilleux décors de désolation qui vous brisait le cœur.
Les vœux sont les enfants terribles d'une magie puissante, à manier avec prudence et sagesse.
Ce qui allait être un cataclysme mondial, un deuil impossible et une douleur incommensurable pour des millions d'enfants, désormais et pour toujours orphelins de Noël, était devenu le plus beau jour de la vie de Melvin. Le premier jour du reste de sa vie, pour ainsi dire.
Les informations en faisaient leurs choux gras : le traîneau du père Noël s'était crashé, peu après le début de sa tournée, quelque part dans la campagne corrézienne et Noël était annulé. Partout, de par le vaste monde, des millions d'enfants pleuraient, le réveillon était gâché et on se mobilisait pour essayer de palier, dans l'urgence, à la disparition du père Noël. La Croix Rouge, le Secours Populaire... tous essayaient, tant bien que mal, de se mobiliser pour sauver Noël ; mais on ne se substituait pas aussi facilement au vieux barbu.
Melvin observait le fruit de son terrifiant larcin à la TV. Melvin avait changé le monde. Mais, à sa grande surprise, Melvin n'était pas réconforté par le grand malheur qu'il avait causé. Les pleurs des enfants, la colère et le désespoir des adultes ne parvenaient pas à combler le grand trou noir qui rongeait maintenant son cœur et qui menaçait, alors, de l'avaler, lui et l'univers tout entier. Non, le malheur des autres ne parvenait pas à estomper sa propre tristesse, son propre vide intérieur ; bien au contraire, le malheur se rajoutait au malheur et le fait que des millions d'autres enfants le rejoignaient dans sa mélancolie ne le faisait pas se sentir moins solitaire, moins malheureux. Qu'a tu fais Melvin ? Le monde est devenu encore plus moche qu'avant et tout ça pour un caprice d'enfant. Melvin pleurait en regardant le monde, Son monde, s'effondrer.
Soudain, une main lourde et chaude se posa sur l'épaule de Melvin.
- « Petit gars, il n'y a aucun vœu précipité et irréfléchi qui ne puisse être annulé par un autre vœu, plus sage et posé ! » C'était le père Noël.
Les yeux pleins de larmes Melvin souriait, timidement, pour la première fois depuis des années, à la fois étonné et, désormais, empli d'une sourde espérance. Mais, ce qui avait été fait pouvait-il être défait ?
- «  Je regrette, je regrette tellement ! » dit Melvin, en se jetant dans les bras du père Noël. Ce dernier essuya les larmes qui roulaient sur les joues de Melvin à l'aide de ses gros pouces.
- « Noël est à l'épreuve des drames ! » répondit le vieil homme, avec une grande bienveillance. « Il te suffit de révoquer ton vœu ! »
- « J'aimerai tellement que rien de tout cela ne soit jamais arrivé ! » répondit Melvin en fixant, avec remord, le père Noël.
Sur ce, le traîneau du père Noël surgit violemment de terre et bondit rapidement dans le ciel et, dans un semblant de contorsions macabres, repris sa forme d'origine, effaçant cabosses et accrocs ; tandis que, surgissant des 4 points cardinaux, 9 rennes vinrent s’atteler au véhicule aérien, et qu'une nuée de colis qui se reconstituaient, comme dans un film que l'on remonterait à l'envers, vint remplir son imposant coffre. Noël ne meurt jamais, car Noël est la renaissance sans cesse reconduite.
On se rappellerait longtemps de ce jour durant lequel Noël eut lieu le 26 décembre. C'était, avec plus de 24 heures de retard, que le père Noël et son acolyte du jour, l'enfant qui avait annulé Noël, entamaient leur tournée mondiale. Partout ce n'était que rire, étonnement, joie, communion et soulagement. Les enfants du monde entier recevaient enfin, sans contrepartie aucune, leurs présents ; car c'était surtout ça, Noël : un don sans aucune forme d'intérêt, sans arrières pensées, sans esprit débiteur. Oui, Noël était un hymne au don... et au partage.
On raconte qu'aujourd'hui, quelque part près de Merlines, le père Noël finit toujours sa tournée par la maison de Melvin ; pour rendre visite à un vieux et très cher ami et échanger autour de leurs dernières créations. En effet, la maison de Melvin est adossée à une arrière boutique dans laquelle il construit et vend des jouets en bois et où courent et jouent toujours de jeunes enfants.
Oui, il suffit parfois d'une rencontre pour faire naître, ou pour affirmer une vocation.
Melvin n'était pas moins taciturne et bizarre qu'autrefois, mais Melvin avait apprit à partager avec ses semblables autour de son amour pour Noël, sans cesse renouvelé.
Il y avait un père Noël pour le jour de Noël et, le reste de l'année, il y avait la petite boutique de jouets de Melvin.
Melvin construisait des jouets et Melvin était heureux.

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